Mécénat : on veut voir les contrats !

Les établissements publics d’enseignement supérieur multiplient les partenariats avec des entreprises mécènes. Les universités n’hésitent pas à communiquer fièrement sur la signature de ces accords. Pourtant, les détails des contrats restent secrets : le montant du mécénat, les conditions du financement et les contreparties consenties sont confidentiels, au nom du “secret des affaires” ! Il est temps de mettre fin à cette opacité.

Mécénat : contrats cachés et clauses bâillon

En 2020, lorsque l’université PSL annonce le lancement d’une licence financée par la banque BNP, impossible de connaître le montant du mécénat. Le contrat est confidentiel ! La mobilisation pour obtenir la publicité du contrat a révélé l’existence d’une clause de “non-dénigrement” du mécène1. Un autre contrat obtenu par Acadamia, concernant la chaire “beauté(s)” financée par l’Oréal, contient une clause similaire : “PSL s’interdit de tenir des propos négatifs et/ou de dénigrer l’Entreprise, ses membres, ses produits ou ses employés”.2

Ce cas est loin d’être isolé. Dans la convention de mécénat signée en 2023 par TotalEnergies pour financer l’université de Lorraine à hauteur de 2000 €, une clause stipule que l’établissement s’abstiendra de faire toute communication, directe ou indirecte, écrite ou orale, susceptible de porter atteinte à l’image et à la notoriété de TotalEnergies”.3

L’association Acadamia a demandé à plus d’une dizaine d’établissements de voir leurs contrats de mécénat. Souvent, les établissements refusent ou répondent avec des documents caviardés. Cela concerne autant les universités que les grandes écoles : les liens avec les entreprises échappent au contrôle citoyen.

Le secret des affaires, obstacle à la transparence

Ces conventions de mécénat sont signées par des établissements publics. Cet argent sert au financement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ces opérations permettent aux entreprises mécènes de défiscaliser. Mais l’opacité demeure la règle.

Pourtant, la volonté du législateur est claire : les documents relatifs au fonctionnement et au financement d’établissements publics sont des documents administratifs. Toute personne qui en fait la demande devrait en obtenir une copie.

Pour déroger à ce principe, les établissements invoquent le “secret des affaires” : ils estiment que la publication de ces contrats pourrait nuire au mécène. Ce faisant, ils font primer l’intérêt privé de l’entreprise sur l’intérêt général.

Le Conseil d’État devra statuer

En 2022, nous avons demandé à l’École polytechnique de nous transmettre l’ensemble des contrats de mécénat signés par l’établissement. Suite au refus de Polytechnique, nous avons saisi le tribunal administratif de Versailles, qui a statué en notre sens et enjoint l’établissement de nous transmettre les documents demandés. Victoire ? Pas si vite ! Au lieu d’exécuter la décision du tribunal, Polytechnique a décidé de saisir le Conseil d’État pour tenter de faire invalider le jugement.

Dans les prochains mois, le Conseil d’État devra donc se prononcer sur la question suivante : lorsqu’une entreprise finance un établissement public d’enseignement supérieur, le contrat de mécénat est-il couvert par le secret des affaires, ou bien doit-il être rendu public ?

Cette décision est particulièrement importante car la décision du Conseil d’État fera jurisprudence : une fois la décision rendue, tous les tribunaux administratifs de France s’aligneront sur cette décision pour tous les dossiers futurs. C’est donc une décision de principe qui dépasse le cas spécifique de Polytechnique.

Mobilisation pour la transparence

L’opacité actuelle détruit la confiance dans les institutions scientifiques. Elle est incompatible avec l’éthique de la recherche, puisque les liens d’intérêts sont dissimulés. Il est urgent de poser la transparence comme condition préalable à tout partenariat entre entreprise et établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, afin de pouvoir développer des collaborations sur des bases saines.

Aidez-nous à faire triompher la transparence face aux intérêts privés ! L’association Acadamia a lancé une cagnotte pour financer les avocats qui vont nous représenter devant le Conseil d’État. En parallèle de la procédure juridique, nous saisissons l’opportunité de ce contentieux pour appeler la communauté académique à se mobiliser pour la transparence.

  1. Cette clause a été modifiée dans la version finale du contrat suite à la polémique. Le contrat de PSL avec BNP est visible ici. ↩︎
  2. Le contrat de PSL avec l’Oréal pour la chaire “beauté(s)” est disponible ici. Il est important de saluer le fait que PSL a fait le choix de respecter ses obligations de transparence en répondant à la demande d’Acadamia plutôt que de protéger les intérêts des entreprises. ↩︎
  3. Le document est disponible ici. Ce contrat est assez représentatif des conventions de mécénat régulièrement signées par des universités ou grandes écoles. Il est important de saluer le fait que l’université de Lorraine est l’un des rares établissements à avoir fait le choix de respecter ses obligations de transparence en répondant à la demande d’Acadamia plutôt que de protéger les intérêts des entreprises. ↩︎